LA pAge noire

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samedi 25 juillet 2020

LES FEMMES, LES HOMMES, LES HOMMES, LES FEMMES (2/3)





Céline affronte les regards de ceux qui l’écoutent. Les plus sceptiques ont du mal à croire ses mots. La faute aux autres. Tous les coupables de l’Histoire ont à peu près servi ce genre de salade. Mais il faudrait également des raisons pour ne pas le croire. Ce que les plus sceptiques n’ont pas.

— Une femme a donc fait de vous… ce que vous avez été ? questionne Virginie Despentes. Ses yeux bleus dans ces autres yeux bleus. 

— Non, madame, non. Cette femme a défait de moi ce que j’avais construit. 

— Ce serait ça la justice. 

— Je ne connais pas vos combats, madame. Mais vous m’avez tout l’air d’en avoir. Prenez soin qu’ils ne vous tuent pas. 

— Laissez tomber, fait-elle. Je m’en sors toujours. Moi non plus, j’suis pas une gentille. 

— Très bien ! Très bien ! C’est ça que j’ai conseillé aux autres femmes. Après. Ne pas être gentilles. Erika, l’étudiante allemande, Évelyne, la Belge qui faisait ses livres. Ne pas être de gentilles filles. Exploiter les hommes, devenir franchement vicieuses au plumard, à condition de pas faire l’amour sans préservatif ou par derrière. 

Ce qui fait rire Flaubert, avec quelques autres. 

— Riez ! Riez vous autres ! Vous n’auriez pas fini comme des pestiférés du sexe si vous aviez voulu être prudents. Il vous aurait suffi d’être propres, messieurs. De pas coucher avec des femmes sales…

— Tu déconnes ? ! Virginie Despentes explose soudain au tutoiement. Allume une clope sous le nez de Céline en geste de défi. Parce que les meufs sont sales ? C’est les meufs qui sont sales ? 

— Les meufs ? fait Céline. 

— Les femmes, les meufs, quoi. 

— Les meufs… ce mot me plaît. Les meufs… Ce mot me plaît beaucoup. 

— Rien à branler. Les porcs, c’est les mecs. 

— Pardon, pardon… madame… Virginie… si vous le permettez. Vous êtes parmi nous. Vous êtes une grande artiste, je suppose. Je vous félicite. Mais vous n’êtes pas médecin ? Ce que je dis est médical. Statistique. Ces messieurs, les vérolés… j’ai attentivement écouté leurs récits. La syphilis… ils l’ont attrapée. Ils ne l’ont pas donnée. Ils sont allé la chercher au fond des vagins. Ou pire que ça ! Les femmes sales !

Despentes éructe. 

— T’es bien le taré qu’on dit ! 

— Une féministe ! Loué soit le petit Jésus ! réplique Céline. 

— Que dalle ! Suis pas assez conne pour tomber là-dedans. J’suis un électron libre. Je suis écrivain, j’ai fait la pute, on m’a violée, et je t’emmerde. J’emmerde aussi toutes les connasses qui me regardent avec un œil de travers. 

— Mais c’est terrible !

— Quoi ? elle rigole. Qu’est-ce qui est si terrible

— Le viol ! Une abjection ! 

— Mec, je t’ai rien demandé. Les choses que je balance, tu vois, c’est pour causer. Pour fermer vos grandes gueules. Vous tous. J’ai pas envie de faire pleurer. Je mérite pas qu’on chiale sur mon épaule. Parce que les filles qui sont restées sur les matelas crasseux, elles y sont toujours. Ou dans les hôtels de luxe. C’est la même chose. Des matelas crasseux. Les filles qui remontent leurs culottes et qui rentrent chez elle sans moufter, sans parler du singe qui vient de leur mettre son membre faisandé entre les cuisses sans demander la permission, elles se taisent toujours. Pour elles c’est terrible. Pour elles, tu peux commencer à verser une larme, si t’en es capable. Mais même ta larme, elles n’en ont rien à foutre. Tu veux savoir pourquoi ? Parce qu’il vaut mieux qu’elles attendent rien. Vous parlez tous de l’amour, vos cœurs brisés par des pouffiasses capricieuses. Mais vous êtes des ramollis de la bite. Le monde tel qu’il est, il vous arrange bien. 

— Virginie, coupe Georges Sand. Est-ce que vous insinuez que les briseuses de cœur sont des… pouffiasses ? Des femmes faciles ? 

[...]


À suivre dans :

COMPTOIR `

Éditions Red'active

2023









(Illustration de la page:  Louise Bourgeois)


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